Après une semaine passée à Tachkent pour nos demandes de visas, nous avons décidé de partir sans les vélos à travers le pays. Le programme comprend bien entendu les villes mythiques de Samarcande, Boukhara et Khiva, mais aussi un crochet pour aller se rendre compte de la catastrophe écologique de la mer d’Aral. En 1960, la politique de Moscou était de déveloper la culture du coton. Des fleuves importants alimentant la mer d’Aral ont donc été détournés en amont pour l’irrigation. Depuis le manque d’apport d’eau douce assèche peu à peu cette mer fermée et augmente considérablement la salinite de l’eau. Ainsi les poissons ont disparu, puis par conséquent, les emplois autour de la pêche dans les villes côtières. La santé des habitants est aussi en question : tout l’environnenent est salé. Dans cette région de Karakalpakie où nous nous sommes rendus, le vent soulève le sel qui recouvre les champs. Sur plusieurs centaines de kilomètres, les champs sont blancs de sel et l’eau du robinet est atrocement salée. C’est un drame humain et écologique et cette mer continue de disparaitre à vue d’oeil…
Dans notre journal du mois de mai, vous pourrez retrouver des photos satellite troublantes de l’étendue de la mer en 2004 et en 2007 et le spectacle émouvant des bateaux échoues dans un port de pêche : la mer est aujourdhui à près de 200 km .
Nous vous conseillons d’aller consulter les images sur Google Earth : elles sont éloquantes.
Ici la plus grosse coupure correspond environ à 0,50 €. Donc lorsqu’on change l’équivalent de 270 euros, nous nous retrouvons avec 540 000 billets qu’il faut ranger. Avant de partir, j’avais demandé à ma P’tite Mum de me confectionner des poches dans mon soutien-gorge pour pouvoir y cacher des billets. A cette époque on ne se doutait pas qu’on serait en possession de tant de billets à la fois. Du coup ici en Ouzbékistan, ces poches sont tellement chargées que ma poitrine est complètement déformée !
La moindre somme à payer nécessite de compter des quantités importantes de billets et les Ouzbeks ont une façon très particulière de le faire. Ils plient leur liasse de billets de 1000 en deux, la bloquent dans une main et avec l’autre main attrapent les billets les uns après les autres pour les faire glisser à l’avant.
Cette technique n’est pas simple à expliquer, mais elle s’avère très efficace pour payer les grosses sommes comme les petites. C’est en observant les gens que nous l’avons acquise dès les premiers jours. Le coup de main se prend assez vite, mais le plus difficile a été de comprendre avec quels doigts la liasse était maintenue.
Le cours officiel est de 1453 SUM pour 1 $. Mais comme dans de nombreux pays, les Ouzbeks essayent de se protéger de la dévaluation de leur monnaie en se procurant un maximum de dollars US ou d’euros. Conséquence directe, on trouve partout aux abords des bazars des changeurs au noir qui vous proposent des taux 20% plus élevés. Nous avons ainsi changé 1 $ pour 1810 SUM.
Le problème majeur est que le pays ne compte que des billets de 100, 200, 500 et 1000 SUM. Donc même en ne prenant que des billets de 1000, en changeant 300 $ vous êtes à la tête d’une montagne de billets digne des films de gangsters…
Nos précieux visas en poche nous avons mis de côté nos velos pour quelques jours d’excursion a l’ouest du pays. Première destination la mer d’Aral et son ancien port de pêche : la ville de Moynaq
Quelques photos prises au marché du Chorsu à Tachkent. Il a la particularité d’être sous l’immense dôme d’une salle circulaire. Les vendeurs proposent ici des épices et surtout des boules de fromage sec d’un diamètre plus ou moins gros, dont nous serons friands pour nos pique-niques. Les étales des maraîchers se trouvent à l’extérieur. On y trouvera des pommes de terre, carottes, choux, œufs et de l’aneth et de la coriandre fraîche qui assaisonnent beaucoup leurs plats, mais très peu de fruits. Quelques pommes, quelques oranges, mais elles sont très chères.
Les visas. Ca reste pour nous la bête noire du voyage. Depuis le refus iranien, c’est notre hantise et ça doit se sentir parce qu’on a la poisse. Chaque fois que l’on se présente dans une ambassade, on est dans un état de stress indescriptible. Nous voici en quête du visa Kirghize, réputé facile à avoir et peu cher. Avant. Aujourd’hui peu cher ça veut dire 110 $ par personne pour l’avoir en 3 jours. Auvergnat oblige, je penche pour l’option la moins chère en 5 jours à moitié prix. On arrive assez facilement à remplir le formulaire, on a toutes les pièces demandées et lorsqu’il faut s’acquitter du montant du visa et que le guichetier nous indique la banque à laquelle il faut s’adresser pour effectuer le paiement, on la trouve sans difficulté. Notre dossier est donc tamponné et après négociation, nous arrivons à conserver nos passeports pendant le temps de l’examen de notre dossier (les 5 jours en question) et rendez-vous est pris pour le mercredi suivant, pour déposer les passeports le matin et les récupérer avec le visa le soir. Ca roule.
Sauf que mercredi suivant, nos passeports sont bloqués au consulat chinois… Quand nous les récupérons, il est trop tard pour aller au consulat Kirghize. J’attends donc le lendemain pour me présenter aux aurores devant la grille du consulat. Levé à 6 heures, après 30 mn de taxi, je suis devant la grille et le gardien me désigne un écriteau qui dit que le jeudi le consulat est fermé. Après discussion en anglais-russe-francais-aveclesmains, il me fait comprendre que ça serait une bonne idée d’attendre jusqu’à 10 heures que le consul se pointe. A 11 heures ; le consul se pointe. En fait le consul c’est notre guichetier du vendredi. Il doit avoir mon âge tout au plus et arrive avec son chauffeur au volant de sa grosse bagnole aux vitres teintées. Il m’ignore et rentre dans son bureau puis en ressort 30 mn plus tard. Le gardien lui explique mon problème et il répond en continuant à marcher et sans un regard pour moi « Niet ». Après tout c’est fermé, je ne peux pas me plaindre.
Je me représente donc le lendemain à nouveau à 7heure 30 du matin. Cette fois-ci le gardien est beaucoup moins sympa et me dit de revenir dans l’après midi. Ca ne sent pas bon. Je lui désigne le panneau avec les horaires d’ouvertures que je connais maintenant par coeur et lui montre que le consulat est censé être ouvert le vendredi matin dès 10 heures. Rien à faire, il faut revenir l’après midi. Je m’éloigne un peu et décide quand même de revenir à 10 heures pétante pour essayer de coincer le consul et l’attendrir sur notre sort : ca fait une semaine qu’il a notre dossier et on compte bien prendre un avion à 17 heures ce soir pour rejoindre Noukous au nord du pays. A 10 heures, il y a une petite foule amassée devant la grille et le problème est le même : pas de consul ce matin, revenez à 15 heures. Ca se complique. J’appelle Claudine et on décide de faire comme ci ça allait marcher et de se pointer tous les deux avec nos bagages devant la grille du consulat à 14h30. La méthode ouzbek en somme.
14h30, devant une petite foule amassée, la nouvelle tombe, le consul est malade pas de visa aujourd’hui. Cris de révoltes dans la foule, plusieurs étrangers et des ouzbeks, tout le monde s’agite et certains abandonnent. Nous, rien à foutre on partira pas de devant la grille. Et puis miracle l’adjoint du consul appelle au téléphone le gardien et lui dit de nous faire rentrer seulement nous deux. On passe devant tout le monde et on se retrouve devant l’adjoint, on lui explique notre problème, on feint de ne pas comprendre les mots « today not possible » et on insiste à plus en finir. On est rejoint par un Allemand avec un passeport diplomatique qui fait lui aussi le forcing, il nous explique que le consul est malade au moins un jour par semaine et nous encourage à ne rien lâcher. Il arrive à avoir son visa fait dans la minute pendant que nous on fait toujours le siège du mini-bureau du consul. L’adjoint nous recommande de revenir lundi, on lui sort le coup de l’avion, il insiste alors pour qu’on fasse le visa à notre retour sur Tachkent, on lui affirme donc qu’on ne repassera pas à Tachkent. Un ange passe. Il prend son stylo et nos passeports et en moins de 10 mn les visas sont faits. Il est 15h30, l’avion décolle à 17h et on n’a pas les billets. L’allemand qui a suivi notre histoire avec amusement nous emmène dans sa voiture à l’aéroport et moyennant un petit bakchich on arrive à trouver une place dans l’avion malgré les « no place today. Finish » de nos deux premiers interlocuteurs. Il faut se battre ici !!!
Le hic, c’est que dans son empressement l’adjoint à cocher par erreur une mauvaise case sur le visa de Claudine et on va donc devoir batailler ferme à l’entrée et à la sortie du Kirghizstan. On est rôdé.
Les visas chinois, c’est une toute autre affaire. On pourrait en faire un long métrage, et on réserve l’anecdote pour un futur numéro de notre carnet de voyage qu’on intitulera « les trucs les plus fou qui nous sont arrivés ». On le publiera une fois sortis du territoire chinois…
L’hôtel que nous avions repéré dans le guide est fermé ou complet, je n’ai pas bien compris mais le résultat est le même. Le copain du chauffeur de taxi m’a accompagné et est embêté pour nous. Il connaît peu d’hôtels dans le secteur et nous emmène vers celui qui lui semble correspondre au budget que nous lui indiquons : environ 30 $.
Nous arrivons à l’hôtel « Grand Tachkent ». La réception est très propre et il y a deux employés en uniforme au guichet qui parlent anglais. Le prix de la chambre est de 65 $. Pas étonnant au vu de ce que j’aperçois du lieu. Poliment, j’explique que nous cherchons un hôtel beaucoup moins cher dans les 30 $. L’employé comprend mon problème mais me dit qu’il n’y a pas d’hôtel à ce prix dans Tachkent et consent à me faire un « special discount for you » à 50 $. Je lui explique que nous ne pouvons pas payer cette somme car nous sommes là pour une semaine et je lui demande s’il peut m’indiquer les coordonnées d’un hôtel beaucoup moins cher. Le responsable se présente alors « I am the manager ». Je lui explique à nouveau mon problème et il m’invite à aller voir la chambre en sa compagnie. La chambre est effectivement super, grande et propre avec salle de bain sans fuite d’eau. Je lui explique que je comprends le prix qu’il demande vu la qualité de sa chambre mais que nous n’avons malheureusement pas les finances suffisantes. Il me propose alors une autre petite réduction à 45 $ et ajoute qu’il a Internet en wifi. Argument massue pour nous qui transportons notre ordinateur. Je tente alors ma chance en lui proposant 40 $. Il me demande combien de temps nous resterons et je lui indique un minimum de 7 jours. « OK, 40 $ for you »
Après tout c’est un prix raisonnable et puis il est 2 heures du matin je dois avouer que je suis content d’en rester là des recherches d’hôtel. Je ne suis pas sûr d’avoir réussi à obtenir un bon prix vu que je suis une chèvre en marchandage mais, alors que je repars en compagnie du chauffeur de taxi en direction de sa voiture où nous attendent Claudine et les bagages, celui-ci qui a assisté à toute la négociation me pince le bras et me fait une moue admirative en me disant « 40 $ ! » C’est assez fier que j’annonce donc le résultat de la négociation à Claudine…
Je passerai sous silence le prix de la course de taxi qui a grimpé puisque nous avons dû faire plusieurs hôtels avant de trouver le bon et inutile d’insister non plus sur le fait qu’à la base c’est 30 $ et pas 40 $ qu’on comptait dépenser. Je m’en fou j’ai épaté le chauffeur de taxi !
En arrivant à 22 heures à l’aéroport de Tachkent avec nos sacs et nos deux énormes cartons contenant nos vélos, on savait qu’on n’aurait pas le choix, il faudrait prendre un taxi pour se rendre à l’hôtel que nous avions repéré dans l’avion en lisant notre guide. Ce qu’on a lu d’autre est universel : les taxis des aéroports vous facturent une somme exorbitante (entre 10 et 20 $ soit 10 fois le prix d’une course normale) pour vous conduire en ville. Résignés, après 2h30 passées à la douane, nous sortons de l’aéroport. Une foule d’une quinzaine de chauffeurs se jettent sur nous, nous encerclent et nous devons résister pour qu’ils n’attrapent pas nos bagages pour les mettre dans leur coffre. Au milieu de la bataille, nous arrivons à discuter avec un chauffeur et à tomber d’accord sur 15 $. Malheureusement pour lui, notre chauffeur fait appel à un de ses « copains » pour porter nos cartons. Nous partons tous les quatre en direction de sa voiture. Comme elle est assez loin et qu’on transporte juste 100 kg de bagages, le copain porteur dit au chauffeur d’aller chercher la voiture. En rallant le chauffeur s’exécute en courant. La foule se reforme aussitôt et le copain porteur met un peu d’ordre avant de nous montrer la voiture qui arrive. On charge nos affaires dans le coffre (je dis dans, c’est une façon de parler car les cartons dépassent franchement et sont arrimés à l’aide de sandows et de ficelles) puis on monte à l’arrière, le copain porteur monte lui sur le siège avant et on découvre que le chauffeur n’est pas le même. Sans doute un meilleur copain…
Il nous faut à peine cinq minutes pour le comprendre. Dès les premiers pas sur le tarmac les gens se mettent à courir en se bousculant pour arriver les premiers à la douane. Ils crient, se marchent dessus et se moquent complètement d’écraser untel ou untel. Homme ou femme, c’est la guerre. On regarde ça mi-surpris, mi-distant, après tout, on a le temps. On passe donc quasiment les derniers au contrôle des passeports, puis c’est à nouveau la guerre pour obtenir un chariot afin de récupérer nos bagages. Il n’y en a plus. Certains en ont deux. Claudine parcourt l’aérogare en vain. Elle demande aux gens où elle peut en trouver un, on lui répond qu’il n’y en pas d’autre ou on l’ignore carrément. Bonne ambiance.
Au bout d’un moment, c’est elle qui comprend la première les règles du jeu de ce pays. Chacun pour soi. Il y a un type qui s’est éloigné de ses deux chariots pour aller chercher un briquet et allumer sa cigarette. L’un des chariots contient son bagage à main et sa veste et l’autre est vide, sans doute son chariot de secours. Clau se dirige d’un pas assuré vers le chariot vide et le prend sans hésiter. En revenant vers moi elle croise le fumeur qui voit son deuxième chariot se faire la male mais ne proteste même pas. Première bataille remportée !
La suivante, récupérer nos bagages est plus difficile, on manque encore de pratique et on ne fait pas le poids face aux grosses mamas ouzbeks. On arrive néanmoins à récupérer toutes nos affaires, les cartons des vélos n’ont même pas l’air trop abimés, et nous passons bons derniers à la douane avant de sortir de l’aéroport. Le douanier a dû avoir pitié de nous où plus sûrement il a reçu des consignes pour laisser les touristes tranquilles, alors nous sommes les seuls à ne pas voir nos sacs ouverts et notre linge sale étalé sur le sol de l’aéroport.
C’est avec un petit sourire difficile à contenir que nous passons cette fois-ci devant les deux mamas qui nous avaient copieusement engueulés et avait carrément poussé notre chariot pour nous passer devant. Les pauvres sont aux prises avec les douaniers qui éventrent un à un leurs sacs.
Entre février 2009 et octobre 2011, Claudine ARNAUD et Olivier BOROT ont mis de côté leurs situations professionnelles pour vivre une parenthèse sur les routes du monde. Près de 15000 Km à vélo sur 4 continents. 20 pays traversés et des étapes inoubliables avec les caravaniers de l’Azalaï au Mali, les tribus de Tanzanie ou les éleveurs de rennes de Sibérie. Ils racontent aujourd’hui leurs aventures dans un recueil de carnets de voyages et dans leurs films qu’ils projettent en conférences partout en France.