Je vais surement faire le test dans tous les pays. Ici c’est plus rudimentaire qu’en Turquie. Je n’ai pas le droit à la séance d’épilation finale ni au briquet qui me brûle les joues. Par contre le barbier fait plusieurs rasages, quatre pour être exact. Le premier avec la tondeuse bien sûr, le deuxième avec beaucoup de mousse à raser, le troisième avec de la mousse à raser très diluée à l’eau chaude et le dernier uniquement avec de l’eau très chaude.
Dès notre entrée sur le sol ouzbek, on nous a prévenus. Impossible de dormir ailleurs que dans des hôtels habilités à recevoir des touristes. Chaque nuit est consignée sur un bout de papier très officiel qu’on appelle « registration » et que nous devons conserver précieusement pour le présenter à notre sortie du territoire. Faute de quoi on serait en droit de nous réclamer 700 € d’amende par personne. Cette mesure vise apparemment à éviter que les touristes ne rentrent trop en contact avec la population non autorisée. A l’évidence, les voyageurs qui suivent les circuits organisés par les agences de voyage et les cars de touristes sont les bienvenus, les cyclistes autonomes le sont moins…
Nous avons joué le jeu pendant notre première partie de voyage dans les villes touristiques du pays, mais sur nos vélos, nous avons repris nos habitudes d’itinérants, et chaque soir nous allions demander l’autorisation de planter notre tente dans un jardin ou une cour, dans les villages que nous traversions. Personne bien sûr ne nous a jamais refusé cette autorisation et nous devions plutôt nous battre pour réussir à dormir sous notre toile de tente et non pas dans la maison du propriétaire des lieux. Tous ces soirs ont été l’occasion d’échanges et de conversations animées, où nous avons mis en pratique les rudiments de russe que nous avions acquis, car personne, mais alors vraiment personne ne parle anglais.
Un soir dans la vallée du Ferghana, Claudine repère un emplacement qui nous paraît idéal. Plat, en contrebas de la route et très proche des habitations, ce petit coin de terre non cultivé ne semble attendre que nous. Un homme coupe du bois non loin de là et il me donne la permission de camper là. Il vient assister au montage de notre « mini-yourte » et il est très vite rejoint par les curieux qui passent sur la route. Les voitures s’arrêtent et les passagers s’approchent, contemplent puis repartent. Des groupes d’hommes, de femmes et d’enfants se forment puis se déforment. Les gens nous prennent en photos et appellent par téléphone toutes leurs connaissances pour venir nous voir. Ils sont parfois plus de 20 à nous observer. Tour à tour une personne se détache du groupe et vient nous interroger sur notre parcours, notre nationalité ou notre âge et nous inviter à dormir dans sa maison. Chaque fois nous insistons pour rester sous notre tente : elle repart alors raconter ce que nous avons dit au reste du groupe. On entend alors notre histoire racontée, parfois même par téléphone, à un public toujours admiratif. Deux fois des hommes nous tendent un téléphone. A l’autre bout du fil une de leurs connaissances qui parle français, enfin qui a suivi 3 ou 4 leçons il y a 20 ou 30 ans… Ca donne des situations comiques. Et puis une fois leur curiosité satisfaite, les gens repartent. Certains reviennent quelques minutes plus tard avec une assiette ou un bol de lait, de confiture, un morceau de pain frais ou des fruits du verger. Un homme nous offrira même une serviette de bain… Tous ces gens que nous avons rencontrés dans les campagnes sont curieux et accueillants : ils ne nous réclament rien, ne veulent rien nous vendre. Ils sont justes contents et étonnés de rencontrer des cyclistes français et nous avons passé des moments authentiques en leur compagnie. On aurait bien eu tort de rester coincer dans nos hôtels.
Dans Tachkent, aucun contrôle, hormis dans le métro, lieu stratégique s’il en est ,puisque certaines galeries servent également d’abris antiatomiques pour la ville.
A vélo, nous sommes arrêtés à presque tous les barrages routiers, le plus souvent pour satisfaire la curiosité des policiers ou des militaires en faction. Notre parcours provoque souvent des exclamations admiratives et on n’a jamais eu de problème.
En voiture lors de nos excursions, nous avons par contre constaté qu’il n’en est pas de même pour les Ouzbeks. Dans les taxis collectifs, chaque barrage (et ils sont nombreux) est le moyen d’obtenir un petit billet (souvent 1000 SUM) de la part du chauffeur, sorte de taxe de transport en somme. Les passagers, eux, sont laissés tranquille. On trouve également beaucoup de policiers équipés de radars. Là encore ils sont le prétexte à extorquer quelques billets aux contrevenants. On n’est même pas sûr qu’il y ait des piles dans leurs radars… Les automobilistes ne se formalisent pas d’être arrêtés. Ils sortent de leur voiture avec un grand sourire et vont directement serrer la main du policier qui les a arrêtés. S’ensuit une petite discussion cordiale que l’on pourrait croire être celle de deux amis de longue date. Le tout se conclut souvent par une nouvelle poignée de main avec cette fois un billet plié en quatre qui passe d’une paume à une autre.
Un de nos chauffeurs s’est fait « flasher » entre Khiva et Boukhara au nord ouest du pays. Il ne l’avait pas volé puisque depuis deux heures il roulait à plus de 160 km/h sur des routes défoncées. Il est sorti de la voiture, a traversé la chaussée et est allé discuter avec le policier qui l’avait arrêté. On l’a vu s’accroupir derrière le capot de la voiture de police puis se relever, serrer la main du policier et revenir vers nous avec un sac en plastique qu’il a chargé dans le coffre de notre voiture. Il expliquera aux autres passagers qui nous traduiront, qu’il a été chargé en guise d’amende de livrer le sac rempli de poissons à quelque ami du policier. Lesquels poissons devaient eux-mêmes être l’amende d’un précédent automobiliste…
OUZBEKISTAN – Le ravitaillement le long des routes
Tout au long de notre trajet entre Tachkent et la frontière Kirghize, nous avons croisé des vendeurs le long des routes. On ne voit pas toujours les vendeurs, seulement une table ou une chaise posée sur le bord de la chaussée avec dessus, posés en évidence, de l’eau, une bouteille de coca ou de fanta, des fruits, des cigarettes vendues à l’unité ou des bidons d’huile. Les chauffeurs s’arrêtent et le vendeur sort alors de sa maison ou de sa cabane non loin de là et accourt pour les servir. Pour nous c’était un peu comme le ravitaillement du tour de France, on guettait les bouteilles d’eau et cela nous évitait d’être trop chargé.
OUZBEKISTAN, le 09 mai 2009 – En route pour le Kirghizstan
Les véhicules sont souvent dans un drôle d’état ici. Seule la carrosserie est entretenue et lustrée pendant des heures. Les moteurs le sont bien moins et on a l’impression que les conducteurs attendent que ça casse pour faire réparer. Et bien de temps en temps ça casse. En montant la passe de Kamchik, dans une portion très raide à plus de 10%, j’ai entendu un choc devant moi derrière le virage suivant. Lorsque j’ai tourné et que j’ai vu ce qui c’était passé, j’ai constaté que le chauffeur du camion avait eu le bon réflexe en se jetant sur le terre-plein-central quand son embraillage a cassé, car de l’autre côté de la chaussée, c’est le vide…
Un soir, nous étions trop loin d’une ville pour espérer trouver un hôtel et la nuit tombant, il a fallu nous résoudre à demander à un habitant l’autorisation de planter notre tente dans son jardin. Sur notre route nous croisons un jeune paysan avec ses vaches qui nous demande de le suivre. Il confie ses bêtes à quelqu’un car elles n’avancent pas assez vite, et nous voilà rentrer dans ce village où la plupart des habitants sont d’origine tadjike. Il nous présente fièrement à tous ceux que nous croisons et nous devons expliquer plus ou moins longuement d’où on vient et où on va. Puis nous arrivons devant la maison de son père Hassan qui est très honoré de nous offrir l’hospitalité. Impossible de planter la tente, il ne veut pas. Nous entrons donc dans sa petite maison qui ne comprend qu’une pièce de 12 m² environ dans laquelle se trouve un fourneau, des étagères, des crochets au mur pour suspendre les vêtements : la partie du fond est réservée au stockage de la literie. Matelas et couvertures recouvertes y sommes entassés méthodiquement. Sa femme nous sert le thé pendant que les voisins défilent pour nous saluer. Ensuite nous irons assister à la traite de ses trois vaches : nous serons étonnés de voir que l’étable est plus grande que sa maison. Ensuite vient le dîner : nous mangeons avec sa famille par terre autour d’une table basse et pendant tout le repas sa plus jeune fille essayera de nous apprendre tous les mots de vocabulaire de ce qui se trouve sur la table. Après une journée de vélos, c’est un peu dur de mémoriser tous ces mots tadjiks que l’on ignorait jusqu’à présent. Le réveil étant matinal pour eux à cause des bêtes, nous ne tardons pas à installer le couchage pour la nuit. Confinés à sept dans cette petite pièce, les uns à côté des autres, nous dormirons sous leurs couvertures de velours très chaudes et poussiéreuses, mais enroulés dans nos sacs à viande.
Entre février 2009 et octobre 2011, Claudine ARNAUD et Olivier BOROT ont mis de côté leurs situations professionnelles pour vivre une parenthèse sur les routes du monde. Près de 15000 Km à vélo sur 4 continents. 20 pays traversés et des étapes inoubliables avec les caravaniers de l’Azalaï au Mali, les tribus de Tanzanie ou les éleveurs de rennes de Sibérie. Ils racontent aujourd’hui leurs aventures dans un recueil de carnets de voyages et dans leurs films qu’ils projettent en conférences partout en France.